Le sens des couleurs 7-Le couple Noir et Blanc
Couple évident, représentant la non-couleur par excellence, le noir et le blanc n'ont pas toujours été naturellement associés.
Les couples rouge-blanc ou rouge-noir ont longtemps été perçu comme plus contrastés, par exemple le jeu d'échec : né en Inde au 6ème siècle, le jeu oppose les rouges et les noirs. Lorsque le jeu est arrivé en Europe, vers l'an 1000, ce sont les blancs qui affrontaient les rouges, c'est seulement à la renaissance que le noir et blanc l'a emporté.
Le jeu d'échecs - Leyden Lucas Van - 1508
Plus théoriquement, le noir n'est plus toujours vu comme une couleur depuis le Moyen-Age, depuis la théorie de la couleur "lumière". Auparavant la couleur était perçue comme "matière" et les matières noires existent (charbon, ardoise...), mais si la couleur est "lumière", alors le noir n'est-il pas l'absence de couleur?
Ensuite vient la découverte du spectre de l'arc en ciel par Newton. Au 17ème siècle, cette approche scientifique va classer les couleurs différemment : au lieu d'un cercle de couleur blanc-jaune-rouge-vert-bleu-noir,on se retrouve avec un continuum de couleurs violet-indigo-bleu-vert-jaune-orangé-rouge, qui exclut le noir et le blanc.
Le cercle chromatique numérique redonne sa place au blanc et au noir parmi les couleurs.
A cela s'ajoute l'imprimerie, qui utilise une encre noire sur un papier presque blanc. Simplement par convention d'ailleurs puisque des études ont démontré d'une écriture jaune sur fond noir se distingue mieux qu'une écriture en noir sur blanc. Contrairement à ce que nous croyons, le contraste entre noir et blanc n'est ni plus fort, ni plus pertinent que les autres, il a simplement été choisi à un moment donné et est maintenant notre référence.
Claude Françoise Denecourt - Fontainebleau - Gravure.
Les gravures, seul moyen de décrire la réalité rapidement, se répandent et renforcent le couple noir et blanc. Dès le 19ème, l'invention de la photo accentue le phénomène. Mais les premiers essais étaient plutôt marron sur crème, c'est probablement une volonté des inventeurs de se rapprocher de l'esthétique de la gravure qui a déterminé le choix du noir et du blanc. Le développement du cinéma et de la télévision a fini de nous familiariser avec cette opposition : noir et blanc contre couleurs. Mais pourtant, dans le monde des couleurs, impossible de se passer du noir et du blanc...! Alors que ces deux couleurs suffisent à représenter le monde.
Bernard Plossu - Oklahoma - 1980.
Un autre symbole s'est attaché à ce couple, le sérieux. Probablement un héritage de la Réforme qui a promu ces couleurs humbles, les tenues professionnelles ou les uniformes reprennent ce code. A tel point que lorsqu'on a découvert au 18ème siècle que les grecs et les romains (devenus la référence en amtière d'architecture) avaient peint leurs monuments de couleurs vives, certains académiciens n'arrivaient pas à y croire : "ce n'est pas sérieux!", ce cliché perdure encore aujourd'hui.
Autre exemple : Henry Ford, grand protestant puritain, a refusé de vendre ses voitures autrement que noires, alors que ses concurrents diversifiaient déjà leurs teintes. Dans les années 20, les premières images animées, prémices du cinéma font leur apparition. Elles sont jugées par certains milieux très frivoles, et même indécentes. Hors la technique des couleurs était déjà bien au point, mais ces considérations morales, en plus d'un coût plus élevé, ont retardés le développement du cinéma en couleur!
Aujourd'hui, dans notre monde d'image où la couleur est omniprésente, le noir et blanc nous interpelle de nouveau avec force, dans l'art, par un étonnant renversement des codes, il est perçu comme osé, subversif (sortir un film en noir et blanc est quasiment un acte militant aujourd'hui!
The Artist
