Le sens des couleurs 1-Le Bleu
Nous vivons dans un monde de couleurs et le marketing l'a bien compris! Aujourd'hui les marques n'hésitent pas à jouer du sens caché des couleurs pour faire passer leurs messages subliminaux. Mais ils ne sont pas seuls! Associations, ONG, équipes de sport, tout le monde adopte ce langage codé. Mais autant nous percevons le message, autant nous sommes bien embêtés quand il s'agit de l'expliquer clairement... J'ai récemment lu l'excellent livre de Michel Pastoureau, historien anthropologue et spécialiste de la question, et j'ai eu envie de diffuser sa connaissance auprès de gens qui n'iront peut-être pas jusqu'à acheter un livre sur le sujet. Mais si le sujet vous passionne arrêtez votre lecture ici et foncez acheter Le Petit Livre des Couleurs aux éditions Points.
Et pour commencer vous allez voir qu'on se sert des couleurs tous les jours dans le langage! Voir rouge, avoir une peur bleue, être vert de rage, rire jaune, être blanc comme un linge, travailler au noir... Un seul exemple par couleur mais il en existe des dizaines!
Ensuite on peut distinguer les six couleurs principales : le bleu, le rouge, le vert, le blanc, le jaune, et le noir. Celles que l'on nomme spontanément, même les petits enfants (même si le noir et le blanc soulèvent polémique). Elles ont une symbolique très forte, une vraie histoire à raconter et leur nom est unique, il n'est pas un dérivé d'un objet.
Il y a ensuite les cinq couleurs secondaires : violet, rose, orange, marron et gris. Celles-ci portent des noms de fruits et de fleurs, elles ont certains caractères propres mais sont moins complexes.
Puis viennent toutes les nuances, ne vous disputez pas pour différencier un vert amande d'un vert pistache, tout est question de contexte et d'interprétation, personne ne détient la vérité, même s'il y a certaines conventions, et ces noms sont complètement subjectifs! On peut aussi s'amuser à bousculer les habitudes : bleu flamboyant, rouge calme, rose piquant... De simples évocations.
Parlons du bleu. C'est LA star, la couleur préférée des occidentaux depuis 1890!
Si vous pensez bleu vous me direz ciel, mer, roi de France, casques bleus de l'ONU, bleu de travail etc... se dégagent déjà des choses plutôt calmes, ordonnées, organisées, consensuelles.
Les casques bleus de l'ONU, symbole de paix et de consensus.
Renvenons en arrière, cette couleur est complètement absente des peintures paléolithiques, et étrangement inexistante durant l'antiquité, tellement qu'on a un instant cru que nos ancêtres ne pouvaient pas le voir! Il est confondu avec le gris et le vert, couleur instable, indéfinissable. Même dans la Bible, aucun mention du bleu, les couleurs sont alors interprétées selon leur hauteur de ton plus que par leur nuance. Ainsi un bleu vif était jugé plus proche d'un rouge vif que d'un bleu clair à cette époque. On parle de couleur "riche", "éclatante", "sale"...
L'Egypte est la seule civilisation antique à plébisciter le bleu mais la "recette" de la teinture se perdra. Détail du plafond astronomique de la tombe de Séthi Ier.
Au 12ème siècle la tendance va s'inverser, le Dieu chrétien devient dieu de lumière et la lumière devient bleue. C'est la première fois qu'on peint le ciel en bleu auparavant noir, blanc rouge ou doré. De plus le culte de la Vierge est à son apogée, et la vierge habite le ciel, elle s'habille donc d'un manteau bleu. En hommage le roi de France, Philippe Auguste, s'empare du bleu et toute la bonne société s'empresse de l'imiter.
Vierge à l'enfant - Fra Angelico 1450.
Couronnement de Philippe Auguste en 1179.
Nous sommes aussi à une époque qui cherche à classifier, identifier les individus. C'est l'apparition des noms de famille et des armoiries. Le système traditionnel à 3 couleurs (rouge, blanc, noir) est insuffisant. On y ajoute le jaune, le vert et le bleu afin de diversifier les combinaisons. En trois générations, le système chromatique est boulversé!
La demande devient énorme et va faire la richesse des régions qui exportent la teinture bleue : le pastel (Picardie et Toulouse). Par la suite la Réforme protestante va jouer un grand rôle dans la symbolique des couleurs en classant certaines couleurs dignes et d'autres pas. Parmis les couleurs plébiscitées le noir, le blanc, le brun et le bleu. C'est important car ces couleurs bienséantes et morales se retrouvent encore dans le vêtement (surtout masculin) aujourd'hui.
American Gothic - Grant Wood - 1930. Hommage aux fermiers protestants de l'amérique.
Au 18ème la technique progresse, on invente le bleu de Prusse et surtout on importe l'indigo des Antilles, plante qui va ruiner Toulouse et Amiens producteurs de pastel, et enrichir Nantes et Bordeaux, les ports. Avec l'indigo, teinture facile et pas chère, vient le jean : l'uniforme du travailleur.
Le blue jean, le nouvel uniforme.
Politiquement en France le bleu devient la couleur des républicains, puis des conservateurs.
Aujourd'hui le bleu est tellement consensuel qu'il a perdu de sa force. Il évoque tout de même la sérénité, la sagesse, la spiritualité, la loyauté, et aussi la mélancolie.
Le moine au bord de la mer - Caspar David Friedrich
